78 - Dimanche de Pâques, Brunch avec Robbie, Echange d'Œuvres, Pétroglyphes le Long du Rio

Dimanche de Pâques, Robbie m'a proposé un brunch au Graham's grill. Nous y voilà à 12h30 pile. On se régale et converse avec grand plaisir. Nous nous retrouvons ensuite dans son atelier pour faire un échange d'œuvres. Je donne à Robbie le livre sur Pierrefeu et un tirage de la Yosemite River et elle me donne un livre, exemplaire unique, que j'aime énormément, Memento Mori, où il y a à la fois tout son art et l'évocation de Taos et de ses femmes.Quand son amie Jenny arrive, on part se balader, au bout de la route 570, old state road, toujours. On descend par sentiers et rochers vers le rio Pueblo où Jenny  nous montre les pétroglyphes, son sujet de recherche. Retour un peu pressé car ce soir les wurlitzeriens dînent ensemble, au restaurant. Comme d'habitude on rigole et on finit avec une glace chez moi. Zut j'ai pas d'alcool. Ça manque quand même un peu.

77 - Flash Back Rio Grande et Red River, Appartenance au Monde Naturel, Ici et Maintenant, Vie et Mort

Hier, après Le ranch de DH Lawrence, j'étais allée là où la Rivière Rouge se jette dans le Rio Grande avec la vue sur leurs deux canyons qui se rejoignent.Marcher. Respirer le souffle du vent.Et quand le vent tombe, à cette heure sans chants d'oiseaux, le silence est tel que j'entends l'eau. Terriblement beau. Les parois s'assombrissent, presque noires contre le ciel renvoyant la lumière du couchant, juste en face sur la rive opposée, les rivières, tout au fond des gorges, là-bas en bas, restent longtemps visibles comme des rubans très légèrement phosphorescents... Et la sauge qui couvre les landes à l'entour d'un vert de plus en plus cendré. Images tremblées.

Je suis impressionnée, une beauté poignante, presque à pleurer, qui me renvoie à tous les proches disparus ces dernières années. Serait-ce Pâques? Il y a au moment où la nuit arrive sur ces paysages, un sentiment très fort d'appartenance au monde naturel, le surgissement en moi de pensées de vie et de mort impossibles à séparer dans cette grande et crépusculaire solitude, pas l'une sans l'autre. Lieu commun mais que je ne ressens jamais autant que lorsque je suis seule, loin de tout, à photographier, rêver, marcher ou nager.Ce sont des moments de profonde complétude, les deux faces des choses sans qu'on puisse en oublier l'une ou l'autre. Ici, maintenant. L'amour quelquefois aussi, et certains moments de grâce entre amis. Ces instants de présent absolu, sans scories du passé ou questions du lendemain sont du pur bonheur.

Place au crépuscule, à cette heure si bien dite entre chien et loup, que j'aime répéter.Place à la paix qui monte et aux images en train de s'effacer dans l'ombre bleue de la nuit: le ciel comme une succession de toiles gigantesques, le ruban enluminé de l'eau, les daims si craintifs, puis plus tard les lumière des villes de passage:

76 - Ecriture Blog, Jankélévitch, le Ranch de DH Lawrence, Dorothy Brett, Rio Grande et Rivière Rouge au Nord de Questa

En réponse.Je ne crois pas qu'on écrit un journal... qui serait publié éventuellement après, ou une histoire: écriture faite a son bureau, face a soi dans un premier temps et sur laquelle on revient au fur et à mesure que l'histoire se déroule comme on publie un blog.Dans un blog, le déroulement est direct et sans retour sur ce qu'on a écrit, avec biffures ratures suppressions ajouts etc... Regarde les manuscrits des écrivains. Déjà on constate que les écrivains qui écrivent sur ordi écrivent différemment. Il n'y a plus de brouillon. La pâte de l'écriture se transforme si facilement. C'est comme le mariage on y réfléchissait à 2 fois avant de se quitter. A l'écriture sur papier aussi. Notre génération a encore cela dans la tête, la rédaction à l'école, peaufiner, s'appliquer... Dans un blog ou tous ces "échangés" internet tu lances les choses dans l'espace et dans l'instant, tu ne les revoies pas, corriges pas, je veux dire. Finalement, j'y passe du temps parce que j'essaie de construire un truc comme pour les photos, mais en direct.Je crois que c'est ce qu'internet a changé en symbiose avec le monde tel qu'il est devenu, l'instantané des choses. Des écrits qui rejoignent le domaine de la parole. On disait les paroles s'envolent, les écrits restent.C'est marrant, parce que chez les peuples dont la transmission se fait par la parole, la parole a l'importance que les écrits ont chez nous. On pèse ses mots et on parle moins. Les indiens que j'ai écoutés utilisent le silence a l'intérieur du discours, comme les Africains.Je sens dans la frénésie de communication occidentale, blogs, forums etc... une rapidité qui fait que c'est souvent pas grand chose. On répond parfois sans même avoir lu jusqu'au bout. On réagit, avant tout, à sa propre vie ou à celle des autres. Très émotif. Un flux, et comme une rivière, il passe indéfiniment. Nos sentiments, nos pensées ont-elles le temps de déposer dans nos mémoires les alluvions que laissent les fleuves dans leurs courbes? Ou nos échanges sur toile virtuelle sont-ils comme les canaux, la ligne la plus courte d'un point à un autre, et dont la marie salope, (nom donné à un chaland à fond plat, comme vous savez), racle et vide les vases pour qu'à nouveau ça circule?

Mais certains d'abord les jeunes parce qu'ils sont nés dans ce monde utilisent cette écriture internet comme, il me semble, une autre manière d'écrire, en se servant de l'instantané, justement.Peut être pourrait-on comparer cela au passage photographique des lourdes chambres nécessitant de longs temps de pose et de préparation (préparatifs qui seraient comme les brouillons de l'écriture classique) et induisaient une certaine manière de photographier, aux premiers leica rapides ainsi que tous les autres petits formats argentiques qu'on emporte dans la poche puis au digital où on prend des photos sans compter puisque une fois acquis l'appareil, ça ne coûte rien et quand c'est mauvais, on efface. A chaque fois cela a ouvert aux photographes d'autres possibilités, des langages nouveaux.

En écriture c'est comme si on était en train de passer au digital. Cela débouche sur d'autres manières de penser, d'œuvres aux formes nouvelles aussi.Avec ce blog, j'essaie d'écrire sans y trop revenir, dans cet état de fraîcheur du dialogue d'une conversation. Ce qui provoque les mêmes dérives que quand on parle entre ami(e)s cher(e)s, qu'on a la nuit devant soi (un peu moins maintenant qu'à 20 ans, faut bien dire) et que la discussion passe souplement d'un sujet à l'autre. Dérive où, au lieu de directement décrire ou raconter, essayer d'être éventuellement marrante..., on part d'un presque rien et débouche sur un pur déroulement de pensée. Ça échappe.

Le presque rien me ramène soudainement à la Sorbonne et aux cours de Vladimir Jankélévitch, quasiment les seuls que je ne voulais jamais rater.

Dans ses essais sur le  «je ne sais quoi et du presque rien»,  Vladimir Jankélévitch est, à la suite de Bergson, le philosophe du devenir, qu'il veut surprendre «sur le fait», en flagrant délit, en équilibre sur la fine pointe de l'instant !Après, dans l'autosatisfaction du fait accompli, l'être se reforme autour de son égoïté, de ses souvenirs teintés de complaisance et de nostalgie: de mort, de liberté, d'amour, il n'est déjà plus question. Mais il reste de cet instant brévissime, de ce «presque rien» où l'être s'est amenuisé jusqu'à n'être presque plus rien pour aimer, un «je ne sais quoi» qui traîne dans l'atmosphère, comme un charme, et rien ne sera plus comme avant!, etc...En voici 3 citations:"J'aime que la musique ne soit pas sourde à la chanson du vent dans la plaine, ni insensible aux parfums de la nuit.""La gaffe est l'administration massive, intempestive, et inopportune de ces vérités qu'une posologie civilisée dose en général goutte par goutte.""Comment le mensonge ne serait-il pas une tentation quand l'homme faible et puéril est si vite ébloui?"Je ne résiste pas à le saluer à nouveau, dans cette courte vidéo devant des jeunes à la MJC de Bourges,et avec ces extraits de sa biographie:"Vladimir Jankélévitch est né dans une famille d'intellectuels russes. Son père médecin, Samuel, fut l'un des premiers traducteurs de Freud en France.Les Jankélévitch fuient les pogroms antisémites dans leur pays et s'installent en France. Vladimir entre en 1922 à l'Ecole Normale Supérieure où il étudie la philosophie.Reçu premier à l'agrégation en 1926, Jankélévitch part pour l'Institut français de Prague l'année suivante. Il y enseigne jusqu'en 1932. De retour en France, il enseigne dans plusieurs lycées et à l'université de Toulouse, ainsi qu'à Lille.Sous le régime de Vichy, il est déchu en même temps de la nationalité française et de son poste d'enseignant.En 1941, il s'engage dans la Résistance. Il dira : "Les nazis ne sont des hommes que par hasard".Il retrouve en octobre 1947 son poste de professeur à la Faculté de Lille.Professeur à la Sorbonne pendant près de trente ans, Vladimir Jankélévitch a marqué de nombreuses générations d’étudiants par ses cours de morale et de métaphysique mais aussi par sa personnalité.Il a écrit des livres jugés importants comme Le Traité des Vertus ou La Mort et a également porté un regard neuf sur la musique des 19ème et 20ème siècle.Philosophe engagé, il fut de tous les combats de son siècle (Résistance, mémoire de l’indicible) joignant philosophie et histoire vécue.La pensée morale de Jankélévitch ramène à une vie vécue selon l’ordre du cœur puisque ce dernier, et lui seul, constitue la vraie structure d’acte de sa philosophie.Son combat était de faire reconnaître le primat absolu de la morale sur toute autre instance.Fin de matinée superbe temps, je pars visiter le ranch de DH Lawrence, au nord de Taos, en montant vers la montagne, au début de la forêt.Sombre endroit pourtant, en ce début de printemps peut-être faut-il l'été pour s'y sentir bien. Aujourd'hui la glace enserre encore la maison et pas de vue.                 Il y a aussi le pin que Georgia O'Keeffe qui avait rencontré Lawrence à Taos était venue peindre au ranch.      Et pour finir, je tombe sur cet avertissement collé sur  la porte de l'habitation réservée aux guides!Ravie d'apprendre que si on sait s'y prendre lorsqu'on croise un ours, ça peut nous permettre de vivre une magnifique expérience et sauver la vie de cet ours.La suite au prochain article. 

75 - Vendredi Saint ou Good Friday, Landes, Croix, et Morada bien sûr

Averse de neige, soleil brûlant, mordante froidure, vent violent, en ce Good Friday comme on appelle ici le Vendredi Saint. Je reste à écrire, lire, trier les photos.A Chimayo, les pèlerins sont arrivés ou arrivent pour prier et emporter un peu de la terre sacrée qui guérit.           Fin d'après midi, aller marcher. Sur la lande, celle de la Morada aujourd'hui, ça s'impose.Au cimetière, les tombes ont été refleuries.Sur le chemin je croise ces quatre pèlerins qui rentrent chez eux.Nous nous saluons."Une photo de nous? D'accord."Quand je prends le chemin habituel, là-bas, je vois les traces de la croix portée et traînée, puis des croix en pierre et de la paille aux endroits où certains se sont agenouillés, j'imagine.Je suis les traces un moment. Les perds.Vois la terre à peine sèche, déjà craquelée, des oiseaux partout, des traces de wapitis dans un lit de rivière à sec.   J'entends le vent, sens le froid gagner avec le soleil qui disparaît.Je rentre par le long chemin rectiligne qui mène à la croix de Georgia O'Keeffe, dans les froides couleurs du crépuscule. 

74 - Banalité, Les routes à l'Ecart, Les Maisons d'à coté, Rio Grande et Ciel Gris du Soir

Hier, la femme du magasin s'est trompée. Faut dire, on avait toutes les 3 beaucoup bavardé et rigolé, Robbie et moi avions essayé plein de trucs, commenté etc… J'avais bien l'impression que le prix était assez élevé.Soudain, comme cela arrive quelquefois, après avoir passé du temps sans penser au temps, il faut vite rentrer, il y a ça et ça à faire, immédiatement. Je ne dis rien. Arrivée chez moi je regarde et oui elle s'est pas mal trompée.J'y retourne aujourd'hui en passant par les petites routes, celles à l'écart, vous savez, où il y a des gros trous, des longueurs juste sablées en attendant de rebitumer après l'hiver et la neige. Et ces gens qui vivent isolés, dans des maisons éparpillées, des ranches. Le mot ne me semble pas bon, il y a une modestie de ces endroits qui rend le mot ranch clinquant, à nos oreilles d'Européen. A peu près au milieu, il y aura un hameau avec une post office et son drapeau américain planté à côté, et un grand store, qui me paraît petit, où on trouve tout, y compris une bibliothèque avec prêt de livres et de films.Cette banalité, cette terre sans extraordinaire mais si vaste me plaisent de plus en plus. Je crois que l'espace amplifie, comme une respiration consciente (cf les pratiques où on "travaille" sa respiration) améliore la santé mentale et celle du corps… On dirait qu'ici l'espace embellit la terre, non lui enlève toute médiocrité. L'alternance entre la beauté naturellement inouïe de certains sites comme Chaco Canyon, les mesas autour d'Acoma, Grand Canyon, Monument Valley, le Canyon de Chelly et la singularité sans emphase des terres fermières ou des landes indiennes, celles qui s'étendent au-delà de la Morada par exemple, où je me suis souvent promenée est ce qui me plaît tant. Le regard porte à l'infini. No limit.Je me sens bien avec l'espace entre les gens que ça crée et la solidarité que l'immensité, l'isolement et le "débrouillez-vous" (sans l'état) semblent engendrer - même si on parle souvent de l'extrême individualisme des Américains. A chaque fois que je me suis arrêtée le long d'une piste ou d'une petite route très isolée, les rares gens qui passaient par là ont tous ralenti pour vérifier que tout allait bien. Sauf une fois un énorme 4/4 à qui justement je faisais signe pour lui demander l'état de la piste plus loin et qui m'a ignorée. A l'intérieur j'ai vu des gros touristes, avant d'être empoussiérée par leur vitesse. A vrai dire je crois que ce serait la même entr'aide dans les endroits perdus de France. Ici je le remarque plus parce que je sens le danger créé par les distances. Quelquefois on est vraiment loin de tout. Combien de temps faudrait-il marcher?En repartant d'Ojo Caliente, je m'arrête prendre un café et sandwich dans un bar où les gens ont tous l'air de se connaître. Bon je suis l'étrangère mais ne peux m'empêcher de regarder et écouter. Les plaisanteries, les gentillesses, les échanges de nouvelles. Il y a la patronne et quelques fermiers on dirait. Rentre un jeune couple avec leurs 2 enfants. Ils commandent à déjeuner. Très vite un des fermiers qui les a fait travailler à la journée on dirait, leur demande s'ils ont trouver du boulot. Il s'inquiète:- "J'espère que vous avez aussi trouvé un endroit parce que la météo annonce du très mauvais temps d'ici deux ou trois jours. Vous pouvez pas rester dans vos tentes." Réponse vague du couple. Le type plus âgé ajoute:- "En tout cas si vous avez rien trouvé, venez me voir, on s'aarangera vous pouvez vraiment pas rester dehors avec les enfants en plus!"Tout le bar écoute maintenant. Un sentiment de solidarité, d'urgence, de générosité en quelque sorte inévitable se fait palpable. Ce genre de situation peut ici arriver à n'importe lequel des présents, semble-t-il.Silence. Un peu de temps passe. Les gens me voient, puisque je suis restée un peu plus que prévisible.Alors un autre s'adresse à moi:- "Et vous qu'est-ce que vous faites là, qu'est-ce qui vous amène. Vous êtes pas dans les eaux, là-bas?"- "Hier si et puis j'avais oublié un truc, j'en ai profité pour revenir, en prenant les petites routes. J'aime les routes à l'écart, plus long mais un autre monde se montre. "- "Ah! Et vous venez d'où?"- "Oh, pas très loin, Taos. Mais ça me plaît d'être là dans ce café qui me semble presque familial! On y sent une ambiance chaleureuse."- "Bon, ben bonne continuation. Toujours marrant de croiser un visage inconnu ici."Je paie, sors, prends une photo du bar, à défaut d'avoir demandé d'en prendre une à l'intérieur, comme si ça avait pu rompre le fil très délicat un court moment tendu entre nous.Retour par le même chemin, lumière différente, point de vue inversé, de quoi réinventer le parcours.Terminer en beauté avec la route qui longe le Rio Grande jusqu'à Pilar. Aujourd'hui tonalités sourdes sous le ciel encore plus gris du soir qui vient.Et la maison-panneau, à la fin, qui dit toute ma journée.

73 - Rumsfeld et Ojo Caliente, Achats Américains, Sentiment d'Urgence, la Vie

Amérique, terre de contrastes, du hurlement silencieux contre Rumsfeld au bord de la 64 à la paix whisperisante des eaux d'Ojo Caliente !9h30. Départ pour aller me baigner dans les eaux chaudes naturelles.Cela me direz-vous, vous qui me connaissez, ne me ressemble pas du tout. C'est un fait. C'est le genre d'endroit que j'évite, je n'aime pas ces bains où on ne bouge ni ne nage et où on est "serré" tous ensemble. MAIS nous sommes aux USA, ce sont des eaux indiennes, Robbie m'a invitée et on adore parler de photo et de tout le reste, alors…Me voilà en maillot de bain turquoise clair à bavarder en chuchotant, (il y a écrit partout "no louder than whisper" ou quelque chose comme ça), tout en profitant des bienfaits de ces bassins successifs. Ma peau sera douce et hydratée, mon visage jusqu'à la ligne d'eau bruni par le soleil traitreusement voilé."Lorsque les explorateurs espagnols des 15e et 16e siècles ont rencontré les sources chaudes naturelles du Nouveau-Mexique, ils en ont découvert les propriétés curatives que les Indiens connaissaient depuis des siècles.Les baigneurs modernes savent que, toute exagération mise à part, les eaux minéralisées qui tourbillonnent le long du Rio Grande et des autres voies navigables sont bonnes pour la santé, au-delà de la simple relaxation. Si vous longez les rives suffisamment longtemps, vous rencontrerez de nombreuses sources naturelles. Pour ceux qui n'ont pas le temps de chercher, il existe une poignée de vieux établissements thermaux à la mode, à proximité d'Albuquerque, de Santa Fe et de Taos, où vous pourrez faire la même expérience revigorante que les voyageurs épuisés d'autrefois.Les sources minérales d'Ojo Caliente 30 minutes de Taos, comprennent plusieurs bassins de minéraux différents : fer, sodium, lithium, soufre et arsenic (oui,c'est bon pour la santé!) Pas besoin de se préoccuper d'étaler sa cellulite ou ses bourrelets de graisse dans cet établissement thermal discret, intentionnellement peu prestigieux, ce qui est un avantage quand on veut juste se baigner."Déjeuner, puis Robbie m'entraîne dans un magasin juste à côté qu'elle aime bien.Et moi aussi. Plein de trucs en tous genres, avec en particulier une gamme impressionnante de vêtements qu'on pourrait qualifier de "hippie renewal", aux imprimés extravagants et - quand j'essaie une tunique juste (!) par curiosité - mettables. Vous devinez, non vous savez.Je repars avec 2 ou 3 tuniques et une veste en laine bouillie bleu ciel avec des bandes noires et des étoiles d'un gris presque argenté.Souvenir de l'Amérique, le départ approche, je le sens à l'urgence photographique qui m'assaille, et à laquelle je résiste en continuant tranquillement comme si le temps à venir était infini. Comme pour la vie, comme si…

72 - Questions de Peintres, de Photographes? Earthships

Revenons à: LE, LES.PARENTHESE d'abord: vous savez sur les murs des musées les explications, je les lis le plus souvent et si je ne les lis pas parce que je les trouve ce jour-là inutiles ou trop longues, toujours les admire, ces lettres soigneusement ou originalement écrites, j'adore. J'imagine la repeinture entre 2 expositions, la réécriture pour parler d'un univers à chaque fois singulier. Ou retrouve-t-on toujours un peu les mêmes mots à chaque fois? Le jeu serait alors de ne pas effacer les mots récurrents, et de parler d'artistes et d'œuvres différentes en gardant les pivots et en remplissant les mêmes vides (rigolo j'ai écrit vide, j'aurais pu mettre espace) avec d'autres mots. Je sens une œuvre conceptuelle possible, là.J'ai lu dans une exposition ou dans un livre que Monet peignait pour d'abord capturer la lumière particulière à chaque heure du jour, chaque moment climatique, d'où ses séries. Que Cézanne lui, continuait la même toile à différentes heures du jour, sans se préoccuper de la lumière particulière à chaque moment, parce que son idée était que le tableau devait représenter l'essence de ce qu'il avait vu, dans une sorte d'éternité absolument indifférente à la lumière. Ce qui m'a plutôt à priori étonnée, sachant le nombre de Sainte Victoire dans l'œuvre de Cézanne. Et puis j'ai quand même pensé, c'est en en peignant plein qu'il arrive à une sorte d'essence platonique de ce qu'il a vu. Mais il les a toutes gardées, enfin, celles qu'on voit. Combien en a-t-il sacrifiées de Sainte Victoire, quand désespéré de ne rien vendre, il jetait ses toiles par la fenêtre?Pour finir sur une note personnelle, photographique, très modestement - Ah! Le geste du peintre - c'est cette question qui m'intéresse n'en faire qu'une ou faire une série. Jusqu'à maintenant le mieux pour moi a été de travailler en série. J'aime justement non pas l'instantané mais les variations climatiques d'humeur, de pensée, de regard. Revenir au même endroit et voir ce que la durée ajoute ou soustrait. N'en ferais-je qu'une, un jour, LE jour?Me voilà donc sur des routes que j'ai bien des fois empruntées, (merveille des termes) pour quelques clichés avec père et fils, rivière, chiens...Quelques miles plus loin, il y a à droite un ensemble de vaisseaux-maisons, les earthships, sortis d'un récit de science fiction, sur la route 64 ouest, celle qui passe par le pont au-dessus des gorges du Rio... Grande, bien sûr.Pour finir, retour aux clichés avec une série de routes qui se perdent dans des ciels occupés aux métamorphoses qu'ils aiment tant rejouer pour nous tous de la terre.   

71 - Recette Feuilletonneuse, le Réel, l'Instantané, le Temps, l'Homme avec le Chien

J'avais eu l'idée d'utiliser les différentes journées virtuelles d'hier en les répartissant. Je me disais, recette de feuilletonneuse, découpons.Découpée, la réalité reste-t-elle ce qu'elle est. J'en sais rien, justement!Et puis dès qu'on photographie, dès qu'on écrit, la fidélité au réel a-t-elle la moindre pertinence? Ce qui  importe serait une sorte de "vrai" par rapport à soi. Cela me fait penser à une réponse d'un père à son fils dans Phoenix, Arizona de l'écrivain spokane Sherwood Alexie qui trace encore une autre philosophie, qui me plaît bien:- "Qu'est-ce que la réalité? Je ne m'intéresse pas à la réalité. Je m'intéresse à la manière dont les choses devraient être."

Ce que le blog a de particulier c'est qu'il est à la fois dans l'instant de soi et dans la rencontre momentanée avec celui ou celle qui lit, et pourtant c'est de l'écrit.Aujourd'hui c'est peut-être ça le changement:Glisser de la reconnaissance donnée à "l'oeuvre" qui perdure, exprimée avec codes, apprentissage, et s'inscrivant ainsi dans une histoire de l'art,à de l'instantané qui, dès qu'il est exprimé et visible  peut être considéré comme oeuvre d'art. Selon quels critères? La pertinence par rapport à une contemporanéité ?La photographie a justement participé à ce changement. Elle a, du fait de son côté mécanique, essuyé le mépris du monde de l'art et obligé les peintres à ne plus viser la véracité, l'exactitude, le savoir faire, mais à cultiver l'originalité du point de vue. D'où aussi toutes ces variations dans l'art contemporain du plus objectif avec si possible pas d'émotion au plus intimement subjectif  avec déchirements de l'âme ou (et) du corps, ou une oscillation de l'une à l'autre à l'intérieur de l'oeuvre.Me voilà à regarder par la fenêtre.

Je vois l'homme en train de promener son chien; "le" "les" - j'hésite, (oui "le" représente tous ceux que je vois passer promenant leur chien sans les identifier.) -  donc le ou les vois souvent par la fenêtre quand je suis comme en ce moment en panne d''inspiration. Celui d'aujourd'hui, le voilà déjà presque disparu, la photo prise trop tard. Comme le disait Cartier-Bresson faut être vif. Y'en a d'autres qui pensent qu'au contraire si la "photo est passée" pendant qu'on installe l'appareil photo sur le trépied, peaufine le cadre et mesure la lumière, c'est que la photo ne valait pas la peine d'être prise. Le mieux ce serait peut-être la fenêtre vide. Moi, j'essaie de ne pas penser, la pensée c'est ce qui m'a souvent retenue de faire. Harmonie légèrement défectueuse entre la tête et les gestes?
Je découvre dans le blog le plaisir de dire une histoire qui raconte le mieux possible ce qui m'est arrivé en une sorte de temps réel, en s'adressant à ceux qui ont envie de continuer à lire ce que je poste (comme dit le mot anglais "post" ou article) et même celui de n'avoir rien à dire qui débouche quelquefois sur des dérives inattendues. Je me demande alors, est-ce que les gens s'ennuient quand je ne sais pas trop ce que j'écris. Ces dérives ne constitueraient-elles pas les textes les plus intéressants? Quand ça échappe et prend une vie autonome, ça me plaît. Et vous?
Suite de l'histoire le les demain.

70 - Retour avec la lune

Lumière de plus en plus orangée.Je ressors du canyon par la piste du nord, qui rejoint 20 ou 25 miles plus loin la 550 bitumée. Regarder en arrière, et je vois monter sur le canyon le gris bleu de la nuit. Mais le soleil n'en finit pas d'enluminer l'horizon. Et à chaque courbe de la piste, la lune de plus en plus brillante refroidit l'autre lumière. Envie d'écouter Tonada de Luna Llena par Caetano Veloso.Une sorte de paix absolue m'oblige à m'arrêter sans cesse. Les voitures qui me précédaient sont loin maintenant. Je sors, respire l'air à chaque fois un peu plus frais, quelques pas, oubli de tout le reste, accord parfait avec ces moments faits d'un présent qui semble éternel, alors qu'ils sont la fugacité même, entre chien et loup. Maintenant le silence.A l'embranchement avec la route bitumée (enfin!), d'après la carte je suis sur la 550 et il faut tourner à droite. Un grand doute à cause d'un panneau qui indique Pueblo Pintado. Or ça semble à l'opposé. Je recule sur le côté, j'attends un peu, réfléchis et chance, y'a des phares au loin. La voiture approche très lentement. Je fais des appels de phare. La voiture s'arrête.- "Je ne suis pas très sûre, c'est bien la 550 et c'est bien à droite pour aller vers Cuba et ensuite Taos?".- "Bonjour, vous venez d'où?"- "De France"- " Bienvenue, la 550, c'est de l'autre côté."- "Merci, au revoir".Il dit un truc que je ne comprends pas, hausse les épaules, fait un geste de la main et démarre. Je le suis. 50m avant la 550, il fait demi tour. M'aurait-il dit "Follow me."?Grande route, voitures, camions, on fonce tous. Mais c'est long, seule dans la nuit. Cuba, tourner à gauche.A nouveau personne, les mesas, les montagnes, de grandes taches claires, la neige qui n'a pas fondu, 4, 5 voitures, et juste avant Albiquiu, je croise un troupeau de vaches. Tellement improbable que je m'arrête et trop tard, il n'en reste qu'une, je prends la photo.Je retrouve enfin une route que je connais, puis la 68 qui traverse Taos. J'arrive avec l'impression d'avoir vécu plusieurs journées, une avec Jean-Pierre, puis Acoma superbement isolé, les highways et leurs immenses camions qui roulent à toute allure, Chaco Canyon, les pistes et ces petites routes serpentantes et soltaires où on a tellement l'impression d'un monde resté, laissé à l'écart?Ce soir encore, le vent fort dans les arbres autour, pour aller me coucher, vous vous levez.

69 - Chaco Canyon

Très vite la route est absolument incroyable. Quelques très rares ranches une voie de chemin de fer qui longe puis traverse la route, des vaches au loin, des successions de mesas et de canyons, quelques arbres, 3 voitures croisées. L'espace ocre, pâle, ou couleur sauge, quelquefois presque rouge et dans la voiture la musique.Lumière très forte. Contemplation. Cette femme qui visite les moutons, cet homme à moto, et moi. La piste maintenant, pas si mauvaise. Oui c'est rocailleux ou argileux, et à chaque brusque petit sommet je vois bien que quand c'est mouillé ça doit être impossible. Mais aujourd'hui, juste faire attention. De la rigolade.Prudemment j'arrive en vue de Fajada Butte. A l'entrée il y a un pont sur la rivière à sec. Je m'arrête, belle vue sur l'ensemble du site. En revenant à la voiture je regarde vers la rivière: 5 daims ou wapitis, tranquilles en train de me regarder. Photo malgré l'ombre, ils s'éloignent sans se presser et passent dans le soleil. Il est un peu plus de 18h, juste le temps de visiter la partie basse du site: Pueblo Bonito, Pueblo del Arroyo.Le soleil va se coucher, je regagne la route avec 2, 3 autres retardataires. A l'ouest, à ras des bords du canyon le soleil, à l'est la lune.La suite... Le retour avec la lune.  

67 - Katya Bonnenfant et Kota Ezawa, Le Rio Grande, 502 et 503 roads, la Terre des Tamayame, Sandia Mountain avec Jean-Pierre

Nous partageons la table du petit déjeuner avec un jeune couple. Ils parlent Anglais, tous les deux avec un accent, français il nous semble pour elle et plutôt allemand pour lui. Au bout d'un temps, elle se tourne vers nous: "Mais vous parlez Français", "Nous sommes français comme vous, non?" Ils sont tous les deux artistes, elle habite Lyon, lui San Francisco et il est moitié japonais, moitié allemand. Ils se sont rencontrés pendant une résidence en Allemagne. Ils sont peintres, mais écrivent aussi et utilisent la vidéo. On sympathise, on discute.

Pour vous les présenter,ces films sur tous les deux, Odessa Staircase Reduxpuis Katya Bonnenfant etKota Esawa.Le très haut pont sur le Rio Grande, on descend dans les gorges, longe la rivière jusqu'à Pilar, en s'arrêtant de temps en temps pour montrer à Jean-Pierre les endroits que j'ai préférés.On prend la haute route de Taos qui passe par Las Trampas et Truchas. La neige tombe à nouveau. Des averses brusques. Le soleil qui perce parfois, la lumière devient étonnante. Jean-Pierre décide de continuer par des petites routes jusqu'à l'hôtel où nous passerons la nuit, la 503 puis la 502. Nous passons dans des terres retirées, hameaux qui paraissent désertés, pourtant des voitures sont garées devant les maisons, prairies, vaches, sierras, canyons, le gris vert de la sauge, les bruns pâles ou sombres, les ocres et les roses des terres, blanc neigeux des sommets, rouge éteint, bleu pâle, mauve, jaune assourdi des maisons, les corrals souvent délabrés, les barbelés, eux bien entretenus, aux limites des réserves, le ruban étincelant d'un rio traversé ou longé un temps.C'est ce mélange de signes d'un passé de pionniers et d'une présence humaine pourtant imperceptible, si on peut dire, de terres à l'infini, qui paraissent inchangées, qui me plaît ici. L'impression que la dureté et la rudesse constituent ce pays tout autant que la beauté des ciels, sans cesse changeants, et des paysages effarants de variété. Rien n'est pittoresque, trop banal, trop particulier, trop laid ou trop beau. Oui finalement l'excès en tout comme dans cette manière américaine de s'exprimer, enthousiasme d'autant plus excessif qu'il ne connaît pas la fatigue d'une longue histoire, peut-être?.Ciel gris brusquement déchiré par le soleil en train de descendre à l'horizon pour arriver à l'hôtel situé sur la terre des Tamayame, près de Santa Anna pueblo. A l'est la pleine lune au-dessus de la ligne des arbres roussis par le soleil couchant pour adoucir notre dernière promenade? Jean Pierre repart demain. La rivière derrière...