70 - Retour avec la lune

Lumière de plus en plus orangée.Je ressors du canyon par la piste du nord, qui rejoint 20 ou 25 miles plus loin la 550 bitumée. Regarder en arrière, et je vois monter sur le canyon le gris bleu de la nuit. Mais le soleil n'en finit pas d'enluminer l'horizon. Et à chaque courbe de la piste, la lune de plus en plus brillante refroidit l'autre lumière. Envie d'écouter Tonada de Luna Llena par Caetano Veloso.Une sorte de paix absolue m'oblige à m'arrêter sans cesse. Les voitures qui me précédaient sont loin maintenant. Je sors, respire l'air à chaque fois un peu plus frais, quelques pas, oubli de tout le reste, accord parfait avec ces moments faits d'un présent qui semble éternel, alors qu'ils sont la fugacité même, entre chien et loup. Maintenant le silence.A l'embranchement avec la route bitumée (enfin!), d'après la carte je suis sur la 550 et il faut tourner à droite. Un grand doute à cause d'un panneau qui indique Pueblo Pintado. Or ça semble à l'opposé. Je recule sur le côté, j'attends un peu, réfléchis et chance, y'a des phares au loin. La voiture approche très lentement. Je fais des appels de phare. La voiture s'arrête.- "Je ne suis pas très sûre, c'est bien la 550 et c'est bien à droite pour aller vers Cuba et ensuite Taos?".- "Bonjour, vous venez d'où?"- "De France"- " Bienvenue, la 550, c'est de l'autre côté."- "Merci, au revoir".Il dit un truc que je ne comprends pas, hausse les épaules, fait un geste de la main et démarre. Je le suis. 50m avant la 550, il fait demi tour. M'aurait-il dit "Follow me."?Grande route, voitures, camions, on fonce tous. Mais c'est long, seule dans la nuit. Cuba, tourner à gauche.A nouveau personne, les mesas, les montagnes, de grandes taches claires, la neige qui n'a pas fondu, 4, 5 voitures, et juste avant Albiquiu, je croise un troupeau de vaches. Tellement improbable que je m'arrête et trop tard, il n'en reste qu'une, je prends la photo.Je retrouve enfin une route que je connais, puis la 68 qui traverse Taos. J'arrive avec l'impression d'avoir vécu plusieurs journées, une avec Jean-Pierre, puis Acoma superbement isolé, les highways et leurs immenses camions qui roulent à toute allure, Chaco Canyon, les pistes et ces petites routes serpentantes et soltaires où on a tellement l'impression d'un monde resté, laissé à l'écart?Ce soir encore, le vent fort dans les arbres autour, pour aller me coucher, vous vous levez.