taos

28- Morada de Taos, Georgia O'Keefe, Parchemene Belle

Longue conversation avec Jean-Pierre au sujet des travaux de notre maison à Pierrefeu, enfin commencés. Il faut encore supprimer quelques trucs, donc décider de ce qu'on ne fait pas. Et ensuite Kristof nous donne son avis et c'est l'occasion de se parler, après tout ce temps sans.Je déjeune d'une omelette aux oignons et pommes de terre. Imprime la photo des drôles d'empreintes pour les montrer à Michael. Il a la même interprétation que moi, lapin dressé sur ses pattes arrières en train d'admirer le paysage ou petit humain égaré dans le froid. Je remplis une bombonne d'eau dans la maison d'Hélène (Wurlitzer) car il y a un puits avec de l'eau délicieuse et rentre.Des nuages dans le ciel mais la lumière promet. Je repars à pied vers la Las Cruces Drive (dead end!), où il y a le cimetière continue par la Penitentes lane (!), jusqu'à une petite église, sur le site de la Morada.     "Moradas are the sacred chapter houses  of Los Hermanos Penitentes, a lay Catholic brotherhood that emerged in New Mexico at the end of the Colonial era. The Morada de Nuestra Señora de Guadalupe is the largest and least altered  of  its  kind  in  the  state  and  is  highly  significant  to  our  understanding  of  the  Hermandad. Not  only  was Taos  a  major  stronghold  for  the  brotherhood  throughout  the  tumultuous  19th‐century  but  it  also  is  one  of  three likely  locations  where  it  originated,  the  other  two  being  Abiquiú  and  Santa  Cruz  de  la  Cañada  (Chavez  1954).Encore caché, le soleil. Je continue sur un chemin dans une sorte de lande ouverte sur les montagnes.

Quelques arbres, une butte, le soleil et tout devient splendide, théâtral.Quand je rentrerai pas mal plus tard il y aura la fin de la lumière sur un mur de l'église. Solitude dorée.

 

  Une croix noire, remplace-t-elle  celle qui a été peinte parGeorgia O'Keeffe?   Personne, juste encore ce soir au loin les fumées. Et quand je repasserai près des maisons, l'odeur boisée.

Après Alamo drive la rue Kit Carson, avec la nuit.

Un message de Carolyn pour me demander si je veux l'aider demain à trouver une canne à pêche pour son spectacle. Ah oui et me dire qu'elle a trouvé un guide pour aller pêcher à la mouche. Y'a plus qu'à!Avec LA mouche qui attrape tout dans toutes les rivières d'Amérique,ParmacheneBellecelle qui n'imite aucun insecte, pure création humaine, la Parmachene Belle (plumes rouges et blanches, soie jaune...) qui est aussi le titre de la pièce qu'elle joue vendredi prochain.

24- Lera Auerbach, Empreintes, Oies du Canada

Il y a quelques jours est arrivée une jeune femme née en Sibérie, vers les 35 ans, musicienne. L'air de rien, si, l'air russe: Lera Auerbach

Et j'apprends par Pamela et Liz (qui sait tout de chacun de nous) qu'elle est  une pianiste mondialement connue et que ses oeuvres sont jouées partout.

"Valeria Averbakh est célèbre dans tout le monde civilisé (mais, hélas, pas en Russie) en tant que Lera Auerbach. C’est parfaitement compréhensible. Originaire de Tcheliabinsk (dans l’Oural) et pianiste prodige, elle effectuait une tournée à New York à 17 ans en été 1991. Et elle a décidé de rester aux Etats-Unis. Ainsi, Lera n’est jamais devenue Valeria, et le diminutif de son prénom lui a "collé" à la peau pour toujours. Aujourd’hui, Lera Auerbach est "l’un des compositeurs contemporains les plus prometteurs" (extrait de The New York Times). Ses œuvres ont été interprétées par des musiciens russes de renom: par exemple, le violoniste Gidon Kremer et son orchestre Kremerata Baltica. La majeure partie de son répertoire pour piano inclut les romantiques allemands et les classiques russes du XIXe siècle, et dans son art de la composition elle semble être influencée par la tradition de Sergueï Rachmaninov et d’Alfred Schnittke, qu’elle ne cache pas même dans les titres de certaines de ses œuvres. L’une de ses compositions les plus connues, le Sogno di Stabat Mater, est une sorte de dialogue avec l’original Stabat Mater de Jean-Baptiste Pergolèse... Dmitri BabitchVenue ici se reposer (?) entre concerts et création.

15h, retour au Rio Grande par le sud. A un moment une sorte de rivière glacée, avec des pas, traces légèrement translucides. Je descends sur les bords enneigés. Au-delà des saules rouges je vois l'eau vive là où arrive ma rivière glacée. En baissant les yeux pour passer de la terre à la glace les traces de 2 pieds pas tout à fait des pieds sont là à mes pieds, bien étranges avec leur 10cm de long.

Des pattes arrières de lièvre ou d'un petit humain pas fini?Des saules rouges ou du Pacifique ?Des oies canadiennes ces canards en noir et blanc?Des peupliers ces grands arbres dorés?Je ne sais pas.

Je ne me suis jamais précisément intéressée ni aux animaux ni aux fleurs ni aux arbres, non mon penchant (comme on disait précieusement dans les siècles précédents) pour la nature semble élémentaire, un goût pour le paysage du très proche au très lointain, contempler le détail de l'eau, voir la forêt à hauteur d'enfant ou des vastes paysages sans âge à travers l'infime trou percé dans une boîte en bois. Un espace et un temps sans date ni repère, une sorte de fil ininterrompu entre le passé qui m'habite sans cesse et la conscience que j'ai de moi au présent; Près des rivières, des roches je perds cette auto-conscience qui me poursuit et me gêne. Elle se dissout enfin dans un sentiment très fort d'appartenance à ce monde sans questionnement existentiel. Il est. Point barre.

J'y vis avec le plaisir sans borne de la contemplation solitaire. Pas de contradicteur, pas de doute. La souveraineté de suivre son propre rythme même s'il est à contretemps des autres. Ça ne se voit pas, et même si ça se voyait, on s'en fout. Je suis bien.

23- Le Goût de Taos, Le Rio Grande vu de près, les Saules Rouges

Alors que les paysages d'ici ne sont pas ceux que je préfère du sud ouest, je comprends les gens qui sont venus habiter à Taos. Malgré les soûlos (tiens aucune idée de l'orthographe de ce mot), les énormes écarts de ressource, grâce à la diversité des peuples qui se sont mélangés ici après les massacres, quelque chose lie les gens. Il y a un goût très fort pour le pays qu'ils habitent et le sentiment d'appartenance à ce pays est tangible.

Les signes tribaux dont tu me parles Jacqueline, ça va être autre chose. Du temps beaucoup de temps pour faire connaissance, rencontrer. Je ne sais pas provoquer, juste attendre le hasard, regarder.Hier, il y a eu le signe tribal négatif. Taos faisant partie du territoire indien, ce qu'ils considèrent comme terre sacrée, est fermé. C'est comme ça que je me suis retrouvée au bout de la rue Las Cruces (qui commence presque sur la Plaza, centre historique de Taos) face à  "no trespassing", et ses habituels barbelés.Dans les années cinquante les Indiens faisaient partie de la ville. Ils n'y viennent plus beaucoup, y sont de passage, on dirait, même si en fait très peu d'entre eux  habitent l'ancien village, Taos Pueblo.Ils habitent souvent les banlieues où j'ai roulé certaines fins d'après midi. Très rude beauté: maisons posées sur le sol, on dirait provisoires ou en attente d'un ailleurs plus définitif, moyens limités, quelquefois des chevaux dans les immenses champs, des vaches, des tas de bois qui ont l'air home made, et en même temps à leur fenêtre les plus belles vues, à l'infini, au loin pures lignes montagneuses sous des ciels immenses. Quand je sors de la voiture pour juste regarder ou photographier, que le soir avance, il y a la brume bleutée et odorante des fumées qui efface presque les carcasses des voitures aplaties dans la neige, les ferrailles et autres récupérations. Odeur de pin, du genévrier ou du cèdre que j'emporte jusqu'à "ma maison" comme disent les enfants, oui ça me rappelle toutes mes fumées de pin ou de chêne de nos feux d'enfance!

Aujourd'hui, je pars avec Carolyn, vers les gorges du Rio Grande que nous traversons par le fameux très haut pont qui tremble fort quand un camion passe.

Sur la carte, j'ai vu une route de l'autre côté de la rivière, d'abord toute droite et sans aucune vue sur l'eau, juste les bords de la profonde entaille qui inscrivent une longue ligne sombre à la surface si plate de la mesa.Soudain ça descend sec, la terre remplace l'asphalte. En quelques tournants nous nous retrouvons au fond des gorges.D'en bas on est surpris par l'ampleur de la vue.  L'étroitesse qu'on perçoit d'en haut a disparu. Nous continuons. Assez loin un pont avec le soleil à ras des hautes falaises, nous nous arrêtons, je me promène un peu, on reprend la voiture. Nouvel arrêt, pour moi un début de repérage, enfin. C'est splendide et tranquille. Plein d'oiseaux.Le soleil a disparu derrière, nous remontons par la grande route qui rejoint Taos par le sud, soleil à nouveau. Pass with care. 

21- Melody Gardot, 0ld State road 570, Dead End, Rio Pueblo

Il neige.Pamela, la peintre canadienne m'a emailé hier soir pour me dire qu'elle passerait ce matin. La poste s'est trompé et un paquet pour moi est arrivé chez elle. Je lui offre un thé.Elle m'avait déjà dit qu'elle allait d'abord explorer, regarder, se balader à bicyclette. "Par exemple me raconte-t-elle, tous les soirs je vais au même endroit, dans la rue Kit Carson là où elle se perd dans la nature et pendant 20mn, je regarde le soleil se coucher. En l'occurence à cause des montagnes, il monte plutôt, il disparaît d'abord des champs puis des arbres et finit par cette ligne dorée jaune rouge pâle à la limite des crêtes..." Elle se servira de tout ça pour peindre, bientôt. Elle lit beaucoup, dont l'histoire de l'Espagne parce que me dit-elle:- "ils ont envahi le Nouveau Mexique, et ça m'intéresse de comprendre comment ça s'est fait ici."Je lui parle des récits de Las Casas que cite Howard Zinn dans son histoire américaine, puis évidemment on en vient aux "natives", on parle du Cantique de la Plaine de Nancy Huston (Canadienne elle aussi) et de Dalva de Jim Harrisson.A 14h, George arrive pour sa conversation française avec un article en Français sur Melody Gardot dont il vient de découvrir les chansons et qu'il adore. Le temps de le lire, de le comprendre plus les quelques dérives sur des expressions comme: "j'en ai mare", ou "je n'y arrive pas", et l'histoire du "ferme ta bouche": c'est en effet la 3ème personne depuis que je suis ici qui me cite le livre de classe dans lequel il y a comme traduction de "shut up" "ferme ta bouche". je lui explique que personne n'utilise cette phrase en France sauf en face d'un enfant qui parle la bouche pleine. On parle ensuite en Anglais et en Français (l'heure est finie) d'American Beauty qu'il vient de revoir sur son ordinateur. Malgré le temps maussade, je pars dans mes alentours de Taos, explorant chaque fois un peu plus. Aujourd'hui, je prends à droite puis à gauche et me retrouve dans un paysage visible à l'infini vers le sud, avec les montagnes au loin, les buissons noirs sur la neige les maisons indiennes qui ont l'air d'avoir été apportées et posées là avec le fouillis autour plus ou moins développé, quelquefois un ou deux chevaux, la vieille voiture familière... La route devient piste et débouche après quelques miles sur "old state road 570", me dit le panneau, je prends à droite.La route devient piste et débouche après quelques miles sur "old state road 570" que je prends à droite. Brutalement plus de route. Des gros rochers la ferment.Je suis là depuis un quart d'heure à regarder, à photographier le rien, dans un froid assez glacé d'après midi sans soleil.Absolument solitaire, croyais-je, lorsque je vois apparaître des silhouettes improbables (à se frotter les yeux pour être sûr): Une femme avec 6 chiens et un chapeau de cow boy sur queue de cheval, approche, venue de loin très loin. Une voiture tout aussi improbable arrive par la même route que moi et s'engage sur la piste où elle avance. La femme leur adresse un signe de bonjour. Les chiens courent devant elle.- "C'est quoi là cette immense faille qui se perd au loin" je lui crie.- "Dead end", elle me répond croyant probablement que je lui demande des nouvelles de la route.Il y avait le vent et nous n'étions pas tout près. Je m'étais dit parlons lui avant que les chiens, qui me font toujours peur, me sautent dessus. Mais les chiens, parfaitement bien élevés, pas du tout ni excités ni agressifs lui obéissent. Je repose ma question dans une proximité augmentée par l'immensité nue autour de nous. Elle m'explique que cette faille continue sur des miles et que le Rio Pueblo qu'on ne voit pas d'où on est, se jette là-bas, elle me montre le nord ouest, dans le Rio Grande.- "On peut y aller", je demande ?- "Sans voiture oui, mais c'est loin."- "Combien ?"- "Une heure et demi, vous descendez, là, dans la continuité de la route il y a une piste qui longe la rivière jusqu'au Rio Grande."- "Ah ben j'essaierai quand il fera meilleur."Salutations usuelles, elle reprend sa voiture moi la mienne, bien au chaud. Retour par l'ancienne 570 jusqu'à sa rencontre avec la highway qui va d'Espanola à Taos. Terrain connu. Les phares s'allument, je passe devant l'église de Ranchos de Taos et par la route du côté que j'aime bien jusqu'à chez moi.